50 ans du Club

« CE N’EST PAS RIEN QUAND MÊME ! »

50 ANS DU CLUB DE « LA CHESNAIE » – CLINIQUE DE CHAILLES (41). 1

Texte  collectif

« INSTITUTIONS » n° 45 – Mars 2010 
 

2009 ! Le président en exercice introduit son rituel « rapport moral » en ces termes, à l’occasion des deux journées d’assemblée générale de l’association : « En cette année où le Club de La Chesnaie fête son cinquantenaire, l’année écoulée s’efface… face à ce demi-siècle d’existence et devant notre désir de peser positivement par nos décisions sur les décennies à venir. Ainsi un moment essentiel de l’A.G. repose certainement dans la possibilité que nous aurons de nous réapproprier l’histoire du Club, d’évaluer le présent afin d’envisager au mieux l’avenir ». 

Les Clubs en psychiatrie s’ancrent dans la loi de 1901, sur le droit d’association. Ce droit non retiré aux aliénés, comme y insista François Tosquelles, à partir de son expérience de réfugié à l’hôpital de St Alban en Lozère, ne suffit ni à les définir ni à comprendre leur extraordinaire impact après la dernière guerre et ses 50 000 internés morts de faim et de froid dans les asiles français. Les clubs sont les héritiers de décennies de pratiques humanistes –disons, pour faire bref : Pinel, Pussin, pour la plus fameuse de leurs strates généalogiques. La circulaire ministérielle du 4 Février 1958, signée Houphouet Boigny, alors Ministre de la santé, confirme leur légitimité, pour le privé comme pour le public2. La constitution et le fonctionnement d’un collectif (de fait mais surtout de droit) contrebalance les effets péjoratifs de l’hospitalisation, les stigmatisations liées au seul diagnostic de maladie mentale. L’inscription reconnue (active ou passive) de soignés et de soignants dans les schèmes d’échanges de la société, les possibilités de « commercer » tant à l’intérieur de l’établissement que vers l’extérieur, de s’organiser en groupes autour d’intérêts communs, l’exercice de la citoyenneté, s’en trouvent maintenus, ouverts. Que ce dispositif soit artificiel et volontariste, qu’il supporte le qualificatif de « thérapeutique », empreinte des intentions soignantes des professionnels concernés, ne l’affaiblit nullement. Au contraire, ce sont là ses conditions de possibilité3. 

Impulsée par cette mouvance, généalogiquement liée à la clinique de La Borde4, La Chesnaie institue son club en 1959561. Le Club représente et produit tout ce que ne comptabilise pas la Sécurité Sociale et ses prix de journée, remboursant hôtellerie et soins psychiatriques classiques. Si à l’époque il était révolutionnaire de mettre en œuvre des clubs thérapeutiques en psychiatrique, de nos jours ce concept -ses pratiques quotidiennes- connaissent des mutations conséquentes à l’évolution des représentations de la folie et de la psychiatrie sensée en répondre.  
 

CE N’EST QU’UN DÉBUT… – 1959-1965. 

Les statuts de 1959 indiquent que : « Sont membres actifs les membres du personnel de la Clinique de Chailles. Est membre bienfaiteur toute personne étrangère à la Clinique et ancien malade, si le bureau de l’association statue favorablement sur sa demande d’admission. Les médecins de la  Clinique font automatiquement partie du bureau du Club ». Les premiers bureaux –et ceci jusqu’en 1965- se composaient de sept salariés élus avec, comme président, le médecin directeur. 

Une brochure interne, imprimée dans les années 1960, traduit ainsi la fondation et les enjeux initiaux : « Le Club représente l’institution de base sur laquelle repose la totalité des activités ergothérapiques et sociothérapiques. Il crée lui-même un réseau institutionnel autour de commissions et de groupes de travail (…), il doit être une vraie société, non un phalanstère ni un instrument thérapeutique aux activités factices… Il est amené à intervenir dans le cadre du service proprement hospitalier : l’accueil, la participation au ménage, à la cuisine, au service de table, à la conduite des voitures, etc. C’est grâce à cette intervention permanente du Club dans le service de l’établissement qu’il est possible de supprimer la séparation aliénante en deux mondes différents. Il fait dans l’établissement en quelque sorte un contrepoids à la fonction oppressive de l’hôpital ». 

Si, dans ces années-là, les malades hospitalisés ne sont pas mentionnés  en qualité de membres actifs, les statuts soulignent l’importance de leur participation aux activités : « Toute responsabilité prise par un pensionnaire au niveau du Club doit être considérée comme une priorité par rapport à d’autres activités ». Le Club se présente comme un groupe d’action de soignants dont le but est la mise en place d’un instrument majeur du programme thérapeutique (animation d’ateliers, comités, vente des produits d’élevage, de poteries, etc.). Les contrats de travail stipulent expressément la participation obligée à ce programme de soins par la socialisation : « Tout membre du personnel en congé le jour où est prévue une soirée de travail (veillées ou étude de dossier) est tenu d’être cependant présent à ces soirées », ce qui positionne les soignants comme des « militants contraints ». 

… CONTINUONS LE COMBAT ! 1966-1972. 

En 1966, par souci de donner davantage de place aux patients, une modification des statuts crée deux instances. La première instance, le « Bureau Exécutif », se compose de sept patients, élus par la collectivité des patients et des soignants, pour quatre semaines et de quatre soignants, élus par le groupe des soignants, pour la durée d’une « fonction », soit trois à quatre mois à l’époque. La seconde instance, le « Conseil d’Administration », comprend des membres élus par l’ensemble du personnel, pour une durée de trois ans, et inclut les patients du B.E. Les médecins en font partie « en surnombre avec voix délibérative… et droit de veto sur toutes les activités du Club ». Le médecin directeur perd le titre de « président à voix prépondérante » pour devenir « membre d’honneur à voix consultative ». 

Le but est « de former une société qui, vivant parallèlement au groupe soignant, puisse être thérapeutique ; dans la mesure où le groupe soignant se porte bien, il incite l’autre groupe, le Club, à se porter bien aussi ». La démarche veut que tout ce qui n’est pas soins stricto sensu s’intitule « Club ». Les soignants organisent, contrôlent et les patients bénéficient en participant, mais désormais chacun est reconnu membre du Club, tel qu’affirmé dans le règlement de 1972. Le Club couvre trois secteurs : ateliers, loisirs et culture, secrétariat et trésorerie. Des comités paritaires se chargent de l’organisation pratique des activités. Les règles internes de fonctionnement des ateliers précisent que « les locaux et le matériel de base (mobilier, outils, etc) sont prêtés par la clinique, celle-ci peut accorder des subventions pour l’ouverture d’un atelier ».  A l’époque, « les ateliers ouvrent sous la responsabilité d’un moniteur. Il est secondé par un pensionnaire à qui il lègue éventuellement ses responsabilités. La nomination de tous les responsables doit être approuvée par le bureau exécutif ; le Club gère le budget de fonctionnement des ateliers. Les responsables d’atelier tiennent une comptabilité soumise au Bureau Exécutif chaque semaine. Celui-ci, sur proposition d’un membre du Club, peut décider l’ouverture d’un atelier ». Différents lieux d’information permettent la synchronisation de l’ensemble des activités et bon nombre d’ateliers fonctionnent en permanence.  

Le Club d’alors apparaît comme doublure de l’instance thérapeutique : mêmes coupes, matière première de même origine, tailles nécessairement identiques, et objectifs superposables. L’architecture de la microsociété se dessine dans tous les détails et fait un tout, donne une étoffe très épaisse, à trame presque sans défaut  mais d’une seule matière. Tout se règle dans des réunions régulières du personnel en fonction soignante pour la Clinique d’une part, et du personnel en interventions au sein du Club, de l’autre. La technique de travail s’avère identique partout : un responsable de séance, des prises de notes, des comptes-rendus affichés et distribués aux instances-clé du lieu. A force de dire et de redire les choses, de les écrire, un savoir faire se transmet de bouche à oreilles, forme une mémoire collective et constitue une masse d’archives (à exploiter). Côté Clinique, deux réunions quotidiennes (matin et soir) passent en revue les activités, comités, ateliers… prévoient les remplacements des responsables moniteurs désignés, et dans un second temps font le point sur la participation des malades. Côté Club, chaque jour (vers quatorze heures) se réunit le sous-comité d’animation journalière (SCAJ) qui transmet les informations sur les activités de la journée. Un « Comité d’Animation » rassemble soignants et soignés pour un bilan hebdomadaire et recueille les vœux et possibilités pour la semaine à venir. Ces comités créent une formidable dynamique, ils sont omniprésents et regroupent les trois quart de l’effectif des malades. Les soignants travaillent six jours par semaine, neuf heures par jour. Ils logent, à quelques exceptions près, sur place ou très près de La Chesnaie. 

Exemple : compte-rendu d’un comité d’animation d’août 1967, auquel participaient trente patients et douze soignants :

  .

Programme de la semaine :

Responsables

Mardi :

10 h 30 nettoyage du Boissier

Annette (monitrice)

15 h 30 thé dansant

 

Mercredi :

10 h 30 comité veillée pour dimanche

Monique (Monitrice)

20 h 30 à 23 h veillée T.V.

 

Jeudi :

14 h sortie équitation

Michel (moniteur)

sortie Floralies Orléans

trois soignants

16 h  réunion Croix-Marine à Blois

Liste à faire

19 h 30  disques de poèmes

Cécile (pensionnaire)

19 h 30  comité veillée pour samedi

 

Vendredi :

14 h à 16 h  audition de disques

Albert (pensionnaire)

comité  sports

 

Samedi :

veillée spectacles et jeux, présence obligatoire des moniteurs, kalo ouverte pour les pensionnaires l’après-midi (suit une liste de gens à y envoyer).

Dimanche :

14 h : jeu de piste (randonnée voitures-vélos-mobylettes) 
En cas de pluie : tournoi de ping-pong.

Ateliers :

serre – poulailler – dessin – lingerie – buanderie -couture – jardin extérieur les après-midi et les matins -poterie – gazette deux fois par semaine – bibliothèque -télé – 
Bar : 10 h 30 – 12 h à 14 h – 16 h à 16 h 30 – 18 h à 19 h -20 h à 20 h 45.

Finances du Club

7 500,00 F. Factures à payer : 6 100,00 F. Avoir : 1 400,00 F.

 
 

En Mai 1968, à  La Chesnaie comme ailleurs, s’amorcent des remises en question, des modifications mentales au sein du collectif des soignants : la suppression des portes entre la salle à manger des moniteurs et celle des pensionnaires illustre les changements de rapports entre soignants et soignés. Mais, « radicalement inhabituelle pour tous était l’obligation de se rencontrer, malades et moniteurs, dans les groupes pour parler d’autre chose que d’animation ou d’organisation. Nous nous trouvions face à face dans des groupes de paroles, les moniteurs ayant plus le trac que les pensionnaires. Pour franchir les résistances des soignants, nous étions contraints d’être réellement présents lors du groupe. Nous devions nous passer de réunions entre nous. La seule exception était pour les groupes d’enseignement sur « l’animation des réunions/discutions », en fait de la dynamique des groupes, pour tous les membres du personnel. Par la suite les « réserves  territoriales » des soignants à l’intérieur de la Clinique furent abolies l’une après l’autre (secrétariat permanent, secrétariat médical et administratif, secteur soins et, beaucoup plus tard, la cuisine ». Dans la foulée, « les moniteurs obtiennent des améliorations de leur statut de travailleurs : un jour et demi de congés hebdomadaires, puis deux. Ils quittent le lieu de travail pour habiter ailleurs. Quelques-uns ayant « fait la révolution » quittent la clinique…, les cartes sont passablement redistribuées… et dans ce mouvement institutionnel tumultueux, le Club a disparu », sans manques visisbles car la Clinique prend en charge les ateliers, les activités sportives et culturelles, les loisirs, les relations publiques… Demeurent, provisoire survivance, la « Commission emploi du temps » (de fait dépendante de la Clinique) et, sorte de vestige, un poste de secrètaire-trésorier. Le Club se confond alors avec la personne qui assure cette fonction ! En d’autres termes, on se passe du Club.   

Si l’existence du Club vacille dans et après Mai 68, on ne peut négliger que La Chesnaie assura, durant cet épisode, le secrétariat à « l’Association pour un collège de psychiatrie de la région Centre », l »un des groupes les plus représentatifs des questionnements, valeurs et espoirs d’alors. Sécurité, accueil, écoute, soutiens matériels de la Clinique et du Club confondus en garantirent pour partie le fonctionnement, des mois durant. Ces regroupements dits, selon les régions, Collèges, Instituts ou Commissions de psychiatrie et fédérés au sein du Comité National de Coordination des Collèges et Instituts de Psychiatrie7, se référaient, majoritairement, au corpus théorico-pratique de la psychothérapie institutionnelle. Pour la région Centre, l’espoir du « Collège » de créer avec les instances universitaires tourangelles, avec les CÉMEA, etc., une école de formation initiale et permanente, transdisciplinaire, des travailleurs en psychiatrie avorta. Cette aventure a directement à voir avec la généalogie de l’École de Psychothérapie Institutionnelle de La Chesnaie (ÉPIC), au plan local, et avec la parution des « Cahiers pour la folie », au plan national. Les remous universitaires confirmèrent la première vague d’internes en psychiatrie oeuvrant à la Clinique et induisirent, par la suite, la navette régulière, entre la capitale et La Chesnaie, d’intellectuels de tous bords. Le Club restait à réinventer et l’établissement œuvrera, à compter de 1972, en grandes assemblées générales, à la modification de ses statuts. 
 

LE CLUB NOUVEAU EST ARRIVÉ – 1972-1979. 

Le nouveau Club se donne un programme d’actions tournées vers l’extérieur en finançant un lieu de rencontres à Paris. Il lance une campagne d’informations et d’adhésions : on n’est plus membre « de fait », mais de « droit » en adhérant et cotisant. La physionomie  du Club, accessible à des « personnes extérieures » à la Clinique, change considérablement. La souscription nominative des adhérents constitue un groupe différent de celui du collectif de La Chesnaie. Il compte maintenant, parmi ses membres, des anciens professionnels ou pensionnaires, des familles, des commerçants, des sympathisants… Cet aspect de site frontalier entre l’intérieur et  l’extérieur s’amplifiera, le local parisien en constituant, à l’avenir, l’un des moteurs et bien des efforts convergent vers ce local. Trois médecins reçoivent en consultation psychiatrique des personnes sorties de La Chesnaie. Un soignant, rémunéré par la Clinique, coordonne les activités. Des stagiaires, d’anciens patients, des moniteurs tiennent avec lui des permanences, animent des activités ouvertes sur le quartier, exposent et vendent des productions des ateliers de La Chesnaie. Expressement  voulu, le maintien de liens entre des pensionnaires parisiens et leur famille et relations sociales, se trouve activement mis en œuvre. En France, la politique de secteur (ses textes, ses étapes) conserve alors pour  les patients, les professionnels concernés, les forces humanistes de notre société, les espoirs princeps des temps de sa conception . 

En se manifestant « au-dehors » le Club devient également une porte d’entrée vers la Clinique, si bien qu’en 1973, un enseignant en architecture et toute une promotion d’étudiants « colonisent » La Chesnaie. Si le Club n’est pas le maître d’œuvre, ni le promoteur stricto sensu, c’est à l’appui de ses familières logiques associatives qu’un groupe mixte d’élèves-architectes, d’artisans, de soignés et de soignants ouvre les chantiers de réhabilitation des bâtiments appelés « Grand Boissier » et « Petit Boissier ». Situés à l’entrée de la propriété, ils accueillent aujourd’hui le bureau du Club, le bar du Club (espace de première importance), la salle polyvalente (spectacles, réunions, etc), le secrétariat permanent en journée.  

D’autres évènements témoignent de l’intensité des initiatives et des réalisations du Club durant cette période, en sus des « classiques » de la vie associative dans les espaces d’hospitalité psychiatrique référés au corpus théorico-pratique de la pssychothérapie institutionnelle. Telle, la première grande fête musicale, en 1974, activité qui demeure une des plus spectaculaires ouvertures vers l’extérieur, puis la création de l’association « La Boissinnoise », initiatrice de concerts, indépendamment du Club. Telle, la « Maison de Boursay », en Touraine, achetée en 1978 à l’aide d’une souscription, qui tenta de créer une ferme thérapeutique fonctionnant en autonomie (élevage, culture, récupération de palettes…). Telle, l’organisation d’une assemblée qui formalisera nombre de principes, bases, et repères de fonctionnement dont la pertinence et l’actualité demeurent : « Un grand nombre de membres du Club de La Chesnaie s’est réuni au « Village de Vacances Familiales » de Dourdan, les 26 et 27 avril 1975. Ce « Congrès du Club » a réuni une centaine de participants, pensionnaires et moniteurs de La Chesnaie, familles de malades et sympathisants. L’idée de départ pour cette réunion était de rassembler ailleurs qu’à La Chesnaie les personnes concernées par notre Club, pour mieux se connaître en tant que groupe distinct de la Clinique elle-même, et de pouvoir redéfinir à cette occasion les limites et la politique du Club. Les principales orientations qui se sont dégagées de ces deux jours de travail concernent surtout la suite que nous souhaiterions pouvoir donner à l’expérience du chantier de reconstruction du « Boissier » et la redéfinition des échanges entre le Club et la Clinique8« , car tout en étant sur le même terrain ces deux entités ne se recouvrent plus. Le Club a acquis une structure distincte de celle de la Clinique. Ces débats confirment la visée socialisatrice du Club, avec deux orientations majeures : l’ouverture vers l’extérieur, déjà largement à l’œuvre, et la nécessaire rentabilisation des activités dans leur ensemble. 

La dominante, en ce temps-là, pourrait se résumer ainsi : beaucoup d’idées mais peu de ressources et s’illustrer par ce souvenir d’une des protagonistes : « On était tellement désespérément fauchés qu’on avait décidé de jouer au loto. L’un de nous fut désigné et semaines après semaines, rien ! Un beau jour, les numéros gagnants correspondaient aux chiffres convenus et joués par le patient missionné pour renflouer la caisse. C’est alors qu’il avoua son désaccord avec la méthode : il s’était abstenu et n’avait jamais joué . Nous n’avions donc rien gagné ! ». 
 

BEAUCOUP D’IDÉES, PAS DE SOUS ! 1980-1989. 

De faibles moyens financiers n’entament guère l’entregent du Club. Les initiatives et les réalisations foisonnent, plus ou moins plombées par des déficits récurrents. Le dynamisme perdure : une École de musique (aménagée dans le « Château d’eau ») avec son Big Band de onze participants, la revue « Braconnages »… et ses nombreux invendus ! Fonctionnent toujours l’élevage, la poterie, la serre, les concerts, le ciné-club, les voyages, la « Caisse de Dépôts » et les « Prêts de solidarité », la kermesse de Juin, etc. La base parisienne du Club, souvent désignée « Service de suite », confirme son allant (consultations, activités culturelles, liens avec les anciens, ouverture sur le quartier…). 

Entre l’École d’Architecture et la Clinique une seconde aventure s’engage, ambitieuse : ce sera « L’Orient express ». Le Club, à l’occasion de ce chantier de près de trois années, crée les « Ateliers d’orientation pré-professionnels » (AOP) mettant en contact des artisans (maçons, couvreurs, menuisiers, électriciens, plombiers, peintres, etc.) avec une trentaine de patients en situation socio-professionnelle concrète et en position d’évaluation leurs compétences.  « L’Orient Express », devenu  « Train Vert », autre association et autre originalité de La Chesnaie, construit à partir de wagons de chemins de fer, à l’écart, mais à proximité des lieux de soins, offre ponctuellement aux stagiaires, invités, visiteurs, un hébergement, un service de restauration à statut d’atelier thérapeutique. Il accueille ponctuellement des ateliers de loisirs ou des manifestations festives. Voici quelques années, les « Bâtiments de France », par un avis favorable (9 janvier 2006) ainsi argumenté : « Considérant que les pavillons du « Boissier » et du « Train vert »… présentent un intérêt d’histoire et d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation en raison de l’originalité de l’expérience archtectirale en accord avec un programme thérapeutique et comme représentatif d’un mouvement d’auo-construction des années 1960-70… » contribuèrent à la protection des deux créations architecturales évoquées. 

Enfin, la chance tourne ! Le Club bénéficie d’un don exceptionnel de 150 000 euros.  Cette mane rend possible des investissements immobiliers, déclenche une révision des statuts, mettant la réinsertion sociale au cœur des priorités, lors une assemblée générale particulièrement animée. Effaçant les dettes, le don initie une période où la gestion des fonds, les décisions et les suivis d’investissements induisent bien des inquiètudes quant aux inévitables transformations de la configuration des instances représentatives du Club. Certains craignent que la complexité de la gestion ne tienne les patients à l’écart des responsabilités, particulièrement au C.A., et  que le sérieux des affaires ne prenne le pas sur la modestie des initiatives quotidiennes, sur la nécessaire inscription des symptômes, de leurs déplacements, sens et traitement. Cependant, malgré les clivages inérants à tout collectif, malgré les aliénations des comportements et des discours, la représentation des patients au sein du C.A. du Club, leur implication dans ses diverses instances (comité, bar et snack , ateliers, réunions…) demeure constante. Leur participation aux A.G. en atteste.  
 

DE L’ARGENT, DES IDÉES, DES PROJETS ! 1990-2009.  

Le Club possède désormais les moyens financiers et humains (contrats objecteurs de conscience, puis contrats jeunes, stagiaires) en même temps que l’obligation d’impliquer les patients dans leur avenir, autant que dans l’immédiateté de leur actualité hospitalière. Beaucoup d’initiatives témoignent de son dynamisme. 

En vrac, citons : les spectacles encore et toujours, les voyages, les activités diversifiées et de qualité, le déménagement et l’informatisation de la bibliothèque, les réaménagements du bar et de la salle de spectacle (sono et éclairage), l’acquisition et la rénovation d’un local commercial destiné à l’antenne parisienne. Si certains de ces investissements perdurent, d’autres disparaissent, du fait des personnes aux statuts plus ou moins précaires, mais, surtout, du fait de l’évolution globale de la psychiatrie sur notre territoire. Le Club, comme nombre d’associations dans ce secteur, choisit de parer aux défaillances (honteuses) de l’État et estima de son devoir d’assumer via des solutions de socialisation post-soins, l’hospitalité dûe aux malades mentaux. Et, sans les détails qu’ils mériteraient, nommons dans ce poème à la Prévert : la campagne de financement de « Un toit pour moi » ; les recherches de subventions, en particulier pour les concerts du lundi soir dont le rythme s’intensifie ; l’association « Les Berges du Beuvron »  dans ses collaborations avec le Club et l’hôpital de jour de la Clinique : cette association, impliquant les habitants de la commune de Seur (41), se matérialise ses partenariats d’abord par l’achat d’une ancienne auberge permettant la création d’un appartement associatif et l’ouverture d’un commerce de proximité, puis ensuite par l’acquisition de la « Maison St Jacques », dans le voisinage de l’auberge, donnant lieu à l’ouverture d’un hôtel théareutique. Par ailleurs, l’achat d’un immeuble, rue des Rouillis à Blois offrira, après travaux, logements, bureaux et salles de réunions. 

En interne, on se mobilise.  On invente le « Comité le Club C’est Quoi ? » (CCCQ) afin d’initier des patients à la vie le Club.  On débat de : « Comment se débrouiller avec l’interdiction de fumer » ? On achète un beau camion tout neuf quand le vieux, volé, est retrouvé brûlé. On rêve d’un voilier. On rêve d’un cheval. On renonce à l’élevage des cochons. On randonne à vélos. On s’initie à l’informatique. On veille à la qualité des manifestations visant à créer du lien : la fête sportive baptisée les « Olympiades », la « Fête des plantes » alternant avec la « Fête du livre ». On prépare (avec d’autres Clubs et associations culturelles se réclamant, sur la région, des mêmes valeurs fondamentales, en matière d’accueil de la folie) la « 23ème journée de psychothérapie institutionnelle / FIAC9« , à Blois. Le Club collabore avec l’ÉPIC pour l’organisation de certains de ses séminaires. Ponctuellement, le Club accueille des artistes en résidence, d’où une activité chorale, d’où la réalisation d’une sculture sonore. Etc., etc. Et le rêve d’un traitement des archives s’obstine dans son état de rêve. 

A Paris, le « Service de suite » s’épuise, non sans soubresauts, au fil des ans et des choix du Club et de la Clinique de recentrer localement leurs missions. Un atelier vidéo émergea, un temps, à la fermeture de l’antenne parisienne du Club et se manifesta dans le cadre des « Journées vidéo en santé mentale », à la Cité des sciences de La Villette.  

… ET ENFIN, DES ÉCHOS DE L’ACTUALITÉ – 2009. 

Ces évocations, concernant cinquante ans d’histoire, montrent le déploiement d’une formidable énergie. Des visteurs ou de nouveaux soignants s’étonnent  devant tout ce que ce dispositif apporte à La Chesnaie. Pourtant, des paroles fermes, enracinées tant dans l’expérience de la Clinique que dans celle du Club, nuancent ou s’opposent aux versions enthousiastes de ceux qui donnèrent beaucoup et désirent faire reconnaître leur labeur, si imparfait fût-il, à l’heure des comptes à rendre. Les effets subjectifs, l’après-coup des partages, les métamorphoses personnelles et les fonctions du temps ne s’étalent guère dans les bilans.  

D’où, parmi d’autres, l’intérêt de cette réaction « à vif » :  » Voici quarante années que je côtoie le Club, de près, puis d’un peu moins près, puis d’un peu loin, puis de près à nouveau. Si les valeurs fondamentales du Club restent les mêmes tout au moins dans ses objectifs déclarés, j’apporterais une nuance. En tant qu’administratrice, et ce depuis trois mandats, je déplore que la densité et l’ampleur des actions fassent parfois oublier qu’il est avant tout au service de tous les patients, et je pense être en droit de m’interroger sur ce que représente, ici et maintenant, la parité en son sein.

Bien sûr, les temps changent, la société évolue, et si on doit en tenir compte, il ne faut pourtant pas que la complexité  de la gestion administrative et comptable de l’association fasse qu’elle ne soit l’affaire que de quelques spécialistes ou de salariés de l’association. Comme le Club, la Clinique se confronte à de nouvelles contraintes administratives, comptables et de gestion des soins. Fini le temps de la place libre à la créativité et à la réactivité permanente. Il faut maintenant remplir des milliers de formulaires pour abreuver de statistiques en tout genre des autorités de tutelles. Il faut qu’à chaque pathologie corresponde un temps de soins. Il faut que chaque heure de salarié soit qualifiable pour tel soin. J’abrège car ça me donne la nausée.

Pourtant, cela a pour conséquences, en ce qui nous occupe, que le temps des soignants est compté et qu’ils ne s’investissent plus ou peu dans la dynamique du Club et, par ricochet bien sûr, les personnes qu’ils soignent ne s’investissent pas ou peu. Loin de moi l’idée de juger quiconque. Je constate. Faut-il croire alors que la modernité aura la peau de la psychiatrie institutionnelle ? NON ! Le club n’existerait pas sans la clinique. La Clinique ne serait pas ce qu’elle est encore sans le Club, car elle résiste tant bien que mal aux assauts des technocrates. Si le dialogue entre le Club et la Clinique n’est pas interrompu, il ne se fait plus dans le cadre d’un débat démocratique. Dirigeants et salariés ont déserté les instances de concertation mises en place par le Club : B.E., comités divers, A.G… C’est vrai, on ne peut pas être à la fois à la foire et au moulin. Mais alors… que faut-il faire ?

Même si j’ai quelques propositions, c’est ensemble qu’il nous faut y réfléchir et tous nous retrouver dans un espace réel de citoyenneté, puisque ce terme employé à tous vents aujourd’hui est le terme choisi par le Club et la Clinique pour désigner l’espace citoyen que représente le B.E. Et puisque le BE est déserté, pourquoi ne pas organiser une assemblée plénière… Au de là des carcans imposés, il nous faut absolument retrouver le goût de nous parler, d’échanger nos idées, nos projets, nos craintes, nos enthousiasmes, nos folies. Nous avons tout à y gagner, à moins que nous ne soyons déjà happés par la morosité ambiante et l’ère du comportementalisme et de l’individualisme ». 

Hanté de préoccupations comparables, le président en excercice les traduit ainsi : « Le rôle du Club, opérateur collectif, destiné à introduire de l’analyse et du vivant dans des situations à fort risque d’aliénation… est de soigner l’institution (via) ce paradoxe d’une organisation qui se voudrait non pyramidale, sans hiérarchie mais qui se trouve en même temps être administrative et gestionnaire. Comment réussir à faire cohabiter ces deux versants ? Comment les outils dont dispose le Club peuvent-ils assumer le maintien de l’hétérogène et la mise en œuvre permanente d’un espace de démocratie, de citoyenneté où chacun, dans une démarche libre et personnelle pourra faire l’expérience de la prise de responsabilité et de la solidarité ? Comment le CA (ainsi que les autres instances) doit-il, peut-il assumer son rôle, son pouvoir de décision, sans en abuser, comment peut-il préserver l’espace des possibilités ouvertes au collectif… être le garant d’un contexte et d’une ambiance qui favorise l’émergence »10 d’échanges et de créativité ?  

Comme je ne suis pas convaincu que l’actualité  soit justement propice à l’émergence de lieux tels que le Club, notre degré de responsabilité  et d’exigence, de résistance, me semble encore davantage engagé. Au Club de la Chesnaie, le cheminement de la parole, relatif à la prise de décisions, prend une forme assez structurée. Il ne pourrait certainement plus en être autrement, pour part au moins, au regard de la lourdeur administrative qui caractérise aujourd’hui notre association. Cette lourdeur entraîne dorénavant et inévitablement un niveau d’exigence élevé en matière de gestion et suppose une organisation rigoureuse. L’interrogation primordiale, sur laquelle je reviendrais plus tard, devient donc d’apprécier dans quelle mesure cette complexité demeure compatible avec les objectifs premiers d’un Club dit thérapeutique. En clair, est-ce que ça soigne ? encore ? un peu ? beaucoup ? comment ? 

Avant d’y revenir, voici succinctement présenté ce que l’on pourrait appeler l’organigramme actuel du Club de La Chesnaie. De façon classique, l’association (loi de 1901) organise une assemblée générale annuelle, début avril, la durée d’un week-end. Elle rassemble tous les adhérents souhaitant y participer ainsi que de nombreux sympathisants. C’est évidemment un temps fort, l’occasion de revenir sur les différentes réalisations de l’année écoulée et de réfléchir sur la mise en place et le suivi des projets. Ce collectif dispose de la possibilité, voire de la responsabilité, de proposer aux futurs élus un cadre de travail par le vote de motions. Peut se présenter au conseil d’administration et être éligible chaque adhérent à jour de sa cotisation. Le C.A élu pour un an, renouvelable plusieurs fois, comprend statutairement neuf membres, soit : un bureau composé des président, trésorier secrétaire, et six membres délégués à certaines fonctions spécifiques définies par les projets en cours ou à venir.  

Le conseil d’administration dicte et oriente la politique globale de l’association via sa rencontre mensuelle. Au gré des exigences, de multiples comités, un nombre important de réunions plus ou moins informelles collaborent au collectif et fondent l’assise du fonctionnement associatif. Au premier rang, le bureau exécutif (autrefois élu mais ce n’est plus le cas) se réunit de façon hebdomadaire. Ouvert à tous, c’est un lieu de parole et d’échange régulier sur ce qui concerne le quotidien. Décisionnaire dans certains domaines, le B.E peut, si nécessaire, s’adresser au C.A en termes de demandes, réflexions ou propositions échappant à ses prérogatives. La répartition des compétences et responsabilités peut et doit être interrogée régulièrement pour toutes instances concourrant au maillage associatif, à la circulation de la parole, aux les prises de décisions, particulièrement en ce qui concerne les comités. Ces comités multiplient, pour les pensionnaires, les possibilités de participation et ils se caractérisent comme suit :

      – certains existent et perdurent de longue voire très longue date à l’image de l’activité qui les concerne. C’est le cas du comité bar (organisation globale de la cafétéria) ou du comité spectacle (les concerts) ;

      – d’autres ont une existence plus ponctuelle et conjoncturelle mais régulière en lien avec l’évènement qu’ils définissent. Ainsi le comité fête de Juin, Olumpiades, fête du livre ou fêtes de fin d’année ;

      – enfin d’autres naissent et disparaissent au gré  de l’émergence ou de l’arrêt de certains projets liés à diverses circonstances (comité pêche, élevage, abri fumeur ou voyages). 

      L’organisation du travail et des soins, au sein de la Cliniqu,e envisage, permet et encourage la participation de chacun, s’il le souhaite, à cette vie associative. Au-delà du volontariat et de l’engagement associatif espéré, il existe un effectif salarié composé comme suit :

      – trois soignants à temps plein, mis a disposition par la Clinique, assurent en lien avec l’établissement ce qui relève de l’animation interne : ce sont les moniteurs du Boissier ;

      – deux salariés, embauchés par l’association, assurent les tâches lui incombant directement : une comptable et un technicien animateur responsable des concerts et spectacles ;

     – enfin, un quatrième soignant complètement détaché  de la clinique et salarié par elle, encadre cette équipe en lien avec les décisions du C.A. : la secrétaire technique. 

Pour mémoire, ce fonctionnement du Club prend historiquement forme sur un terrain associatif fertile, nombre d’associations dans le cadre de la Clinique de Chailles ou à l’extérieur (aux plans local et national), constituant des interlocuteurs et des partenaires privilégiés : l’ÉPIC, Le Train Vert, le Chêne et la Rose (créée « pour célébrer la beauté des choses »), la crèche parentale accessibles aux communes avoisinantes, les Croix Marines, les associations culturelles d’établissements psychiatriques ou d’éducation spécialisée des environs, etc…). 

Concrètement -je reviens ainsi sur la question précédemment évoquée-, comment le Club parvient-il à gérer ce paradoxe d’une organisation qui se voudrait non pyramidale mais dont les lourds engagements (immobiliers, concerts) ne peuvent se soustraire aux exigences gestionnaires ? Plus clairement, le Club de la Chesnaie aujourd’hui grosse machine, peut par certains aspects faire peur à l’endroit où sa fonction première devrait être de susciter le désir. Comment faire cohabiter ces deux versants et garantir la possibilité, pour les personnes les plus en difficultés, de pouvoir cependant accéder à un niveau fonctionnel de gestion collective ? 

Le Club aujourd’hui tient bien sa fonction de surface d’échanges entre l’institution et le monde qui nous entoure, ainsi que sa fonction de promoteur de lieux possibles pour l’insertion. Mais il faut rester vigilant à ce que tout cela, qui est bon, ne conduise pas le Club à devenir irrémédiablement lui-même une institution dans laquelle les règlements, hiérarchies, enjeux financiers ou/et de pouvoir l’éloigneraient de sa fonction essentielle. Toutes les nouvelles actions doivent être invitantes à la parole de tous, et donc, premièrement, accessibles quant à ses thèmes et objectifs. Qu’il se préoccupe en priorité d’être facteur de vie et de démocratie au coeur même du monde du soin, en sachant toujours accepter de se remettre en cause. Ceci car les valeurs essentielles, issues d’une histoire merveilleuse dont les racines plongent dans le chaos de la seconde guerre mondiale, demeurent vivantes dans ce lieu qui est le nôtre ».  

« Ce n’est pas rien quand même ! Cinquante ans de vie quotidienne, cinquante ans d’humanité et d’intimité d’une petite communauté solidaire perdue au fond des bois… » concluait, en A.G., le présentateur de cette reconstitution à plusieurs voix, à plusieurs mains, à plusieurs cœurs. « Ces moments sont à mon avis les plus précieux que nous connaissions. Voilà, l’histoire continue et elle nous appartient… Merci aux anciens, merci à vous. »